(Version française) L’homme qui était sorti de notre mémoire avant d’y rentrer (French version)

Cette expression de David Bennet (1980), l’homme qui était sorti de notre mémoire avant d’y rentrer, résume et concentre efficacement la perception de l’art tribal dans la culture occidentale.

Dans d’autres écrtis, j’ai mis en évidence un certain nombre de clichés  malheureusement bien ancrés et relatifs à un art qui se vante de ce statut depuis seulement peu de décennies.

Il s’agit d’artefacts sans histoire , intemporels , toujours identiques à eux-mêmes , fabriqués par des artisans inconnus , hors du temps et de l’histoire , expression involontaire d’une créativité récurrente  résultant d’expériences non évolutives.

Igbo Masquerades, Nri Awka Region, Nigeria, Photograph by Northcote Thomas, early 20th Cen

Igbo Masquerades, Nri Awka Region, Nigeria, Photograph by Northcote Thomas, early 20th Cen

Ces derniers et bien d’autres équipements ont marqué l’histoire de l’art tribal et il n’est pas du tout certain que des couches entières ne demeurent que de la perception et de la culture occidentale .

Au mieux, de ces artefacts on avait apprécié l’originalité, parfois la référence symbolique , et difficilement la valeur esthétique

Du reste, à mon avis, une culture qui est née et qui a évolué dans le bassin hellénistique / romain n’a pas eu de bons critères pour l’interprétation d’une réalité si lointaine, non seulement géographiquement, mais surtout psychologiquement et culturellement.

C’était en effet la sensibilité des artistes, à leur tour marginaux par définition, à en avoir découvert la valeur formelle au cours des premières décennies du siècle dernier, bien que leur intérêt ait été complètement invalidé par la compréhension de la signification symbolique et anthropologique. Ces artistes d’avant-garde étaient plus interessés par la gamme des formes et des volumes, ce qui est tout à fait comprehensible !

1907 les bakubas Harroy Fd

Les Bakubas, 1907,  Harroy Fd

Cette modalité de lecture des créations primitives, à savoir, une modalité sensiblement immédiate et formelle, a relégué l’art tribal dans une sorte de limbe à mi-chemin entre la curiosité exotique et la beauté aléatoire, empêchant toute argumentation herméneutique sur leur valeur esthétique et sur leur sens ethnographique et symbolique.

Et pourtant c’est avec cette double clé de lecture, esthétique et anthropologique, que l’on peut comprendre ou au moins se rapprocher de la comprehension de la valeur historique / artistique des objets tribaux

De plus, à mon avis, même l’art occidental des siècles passés a besoin d’une approche pas éminemment formelle / esthétique comme il arrive dans la plupart des cas: ceux qui se demandent  quel était, par exemple, l’environnement culturel et social dans lequel les œuvres de Giotto sont nées ou encore celles de Vermeer ou Goya, pour ne citer que trois géants de l’art européens ?

Peut-être une approche historique et sociale n’améliorerait-elle pas la compréhension et l’appréciation de ces chefs-d’œuvre?

Le fait de s’éloigner des critères purement ethnographique pour la lecture des œuvres tribales n’est-il peut-être pas une nécessité ou une urgence pour en comprendre la portée artistique ?

Une approche esthétique en fait, à côté de l’approche anthropologique, est la seule chance de sortir des situations qui frisent l’improvisation, l’amateurisme et les préjugés.

Belgian Congo, February 1947. Photograph by Eliot Elisofon.

Belgian Congo, February 1947. Photograph by Eliot Elisofon

La construction de l’herméneutique symbolique et artistique qui sort du contexte anthropologique de base, mais qui étudie le contexte esthétique où ces formes ont été produites, est la seule chance à mon avis, pour définir des paramètres d’une évaluation artistique sérieuse.

Comme dans toute création humaine, en fait, la gamme des critères d’évaluations d’un travail est large : et les œuvres tribales qui pourraient évidemment être horribles ou sublimes n’en font pas exception !

Mais sans cette interprétation herméneutique tout est mélangé dans une morne uniformité qui élève le « non-beau » et dégrade, au contraire, ce qui mériterait une considération bien différente.

Pende Masqueraders, Emil Torday. Published  John Mack Emil Torday and the Art of the Congo. Seattle - London n. d., p. 35.

Pende Masqueraders, Emil Torday. Published John Mack Emil Torday and the Art of the Congo. Seattle – London n. d., p. 35

La conséquence de tout cela est claire pour tous: expositions institutionnelles des copies ou au plus  des artefacts les plus risibles se faisant passer pour événements culturels; la prolifération de faux à chaque niveau; la commercialisation de sous-produits d’artisanat comme s’ils étaient indignes d’être considérés comme œuvres culturelles; hypertrophie des provenances et / ou stupides publications produites à cet effet; la division des artefacts seulement sur la base de critères purement économiques; l’arbitrage mené par des personnes qui se prennent pour des experts, et ainsi de suite …

Masked dancer, western Ivory Coast, circa 1910. Dan or Guere ethnic group. Vintage postcard photographer G. Kante.

Masked dancer, western Ivory Coast, circa 1910. Dan or Guere ethnic group. Vintage postcard photographer G. Kante

 

En un mot il s’agit d’un chaos dans lequel le seul perdant réel est l’ART TRIBAL authentique, et les seuls vainqueurs sont les sots, les ignorants et les tricheurs.

Et par conséquent, il convient de réaffirmer que l’art tribal, et surtout celui de l’Afrique, n’est jamais hasardeux, il ne jaillit pas de l’instinct pulsionnel de l’artiste et il ne parle pas seulement aux sentiments inconscients du spectateur occidental.

En outre, il n’est jamais anonyme, même si nous ignorons les artistes qui l’ont créé; et il ne répond pas seulement à des critères stricts du canon expressif de la culture d’appartenance, mais il met en évidence une évolution subtile et durable, en fonction de la personnalité de chaque artiste.

Salampasu Masqueraders, Belgian Congo, first half of 20th Cen, Photographer unknown.

Salampasu Masqueraders, Belgian Congo, first half of 20th Cen, Photographer unknown

 

Mon engagement est celui-là : redonner, autant que possible, la dignité artistique aux œuvres tribales et l’examen des œuvres d’art, comme telles dans la culture européenne, à travers la définition et la construction d’une profonde analyse esthétique, anthropologique et symbolique.

Seulement en reconnaissant pleinement la diversité culturelle, la vitalité intellectuelle et l’intégrité esthétique de ses créateurs (S.Price, 1989), une approche créative et dynamique des arts tribaux,  leur connaissance, l’interprétation et la compréhension sont possibles.

Donc, vraiment, on pourra redonner si ce n’est pas un nom, au moins un hommage à l’homme qui était sorti de notre mémoire avant d’y rentrer.

Elio Revera

Map of Africa 1617 Guillermo Sansone

Afrique, dix-huitième siècle.

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2 risposte a “(Version française) L’homme qui était sorti de notre mémoire avant d’y rentrer (French version)

  1. « De plus, à mon avis, même l’art occidental des siècles passés a besoin d’une approche pas éminemment formelle / esthétique comme il arrive dans la plupart des cas: ceux qui se demandent quel était, par exemple, l’environnement culturel et social dans lequel les œuvres de Giotto sont nées ou encore celles de Vermeer ou Goya, pour ne citer que trois géants de l’art européens ? »

    J’ai fait des études d’histoire. Antiquité gréco-romaine et empire byzantin. Un jour j’ai lu un bouquin écrit par un historien de l’art et je me suis vite rendu que ses descriptions étaient foncièrement creuses. Son approche était purement esthétique, sans expliquer le pourquoi de la chose. C’était très décevant.

    Elio. Etant né en Afrique centrale (Kolwezi – Zaïre – mon père travaillait pour la Gécamines), je ne suis pas insensible à l’art tribal. Pourrais-je te montrer deux-trois artefacts que j’ai acquis récemment ? Je ne pense pas ce soit des pièces à touriste, mais je ne maîtrise pas bien le sujet et j’aurais aimé me prévaloir de ton expertise.

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